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L'ÉPOQUE PARIS

Soudan, un nouveau théâtre de guerre par procuration

L'ÉPOQUE PARIS - Alors que des combats meurtriers font rage au Soudan, la France et l’Allemagne ont commencé à évacuer leurs ressortissants cet après-midi suivis par d'autres États qui évacuent leur personnel diplomatique, L'ÉPOQUE retrace les causes de cette nouvelle crise avec un focus sur les intérêts de certains Etats dans le pays dont le conflit implique de multiples acteurs.



23.04.2023 © L'ÉPOQUE PARIS


Par Nereides Antonio Giamundo de Bourbon


Des civils tentent de fuir les combats à KhartoumImage : Ebrahim Hamid/AFP/Getty Images


Le Soudan est de retour dans le chaos. Depuis le 15 avril, la rivalité politique entre les deux généraux à la tête du Conseil Souverain qui, pour le moment, dirigent le pays, le président Abdel-Fattah al-Burhan et le vice-président pro-russe Mohamed Hamdan Dagalo, dit "Hemedti", est dégénérée dans des affrontements et de la violence, auparavant concentrés uniquement dans la capitale Khartoum, puis étendues à d'autres villes. C'est la guerre civile.


Les combats voient les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) sous les ordres du vice-président Dagalo d'un côté et de l'armée régulière, commandée par le président al-Burhan de l'autre. Ces deux factions mènent une confrontation faite d'incursions, de fusillades, de raids aériens, de véhicules blindés et d'annonces contradictoires. Et la crise vient juste de commencer. Comme cela arrive souvent dans ces cas, il est difficile de comprendre qui contrôle réellement le pays en ce moment. Ce qui est certain, c'est que les milices paramilitaires n'ont rien à envier à l'armée régulière, ne serait-ce que parce qu'on estime qu'elles pourraient compter sur environ 100 000 hommes. Les FSR sont en effet une évolution des fameux "diables à cheval", les "janjawids" qui ont combattu aux côtés de l'ancien président et dictateur Omar al Bashir pour réprimer les rebelles du Darfour au début des années 2000. Leur proximité avec les mercenaires wagnériens, ultra-nationalistes et les soldats pro-russes qui combattent aujourd'hui en Ukraine est soulignée.


Abdel-Fattah al-Burhan © Getty


Mais pour comprendre ce qui se passe, il faut remonter quelques années en arrière. En 2019, après 30 ans de dictature, al Bashir avait été destitué par un coup d'État. Al-Burhan et Dagalo étaient tous les deux du même côté, contre le désormais ex-président. Un gouvernement de transition avait été mis en place, celui-ci censé conduire aux élections démocratiques. À l'automne 2021, Dagalo et al-Burhan avaient uni leurs forces pour faire tomber le même gouvernement civil auquel ils avaient tous les deux participé. C'est ainsi qu'ils donnèrent naissance à l'alliance militaire du Conseil Souverain.



Les deux se connaissent au moins depuis la guerre au Darfour : al-Burhan était le commandant dans ce conflit et Dagalo avait combattu directement avec les sanglants janjawids, dont il est devenu l'un des noms principaux. À la demande d'al Bashir, les FSR avaient alors été créées, dont Dagalo était ensuite nommé commandant et avec qu'il avait pillé les mines du Darfour au cours de la dernière décennie.Vers la fin de 2022, l'équilibre précaire de la coexistence entre Dagalo et al-Burhan commençait à céder. L'armée gouvernementale, sous la promesse de recevoir une nouvelle aide économique de la communauté internationale, avait en effet accepté de reprendre la voie de la démocratisation que les deux dirigeants avaient bloquée l'année précédente.


Mohamed Hamdan Dagalo © Getty


Cependant, il avait été demandé que les FSR soient intégrées dans l'armée, dans un délai maximum de deux ans, pour former un corps militaire unique. Dagalo, qui n'a jamais aimé cette condition, a plutôt proposé un processus d'intégration des deux commandements bien plus lent, qui pourrait conduire à 10 ans de lutte pour le pouvoir, par des accusations mutuelles qui, ces derniers jours, se sont transformées en affrontements armés.


Mais d'autres Etats ont également des intérêts au Soudan. Le gouvernement égyptien, par exemple, soutient le gouvernement dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhane. Mais l'Egypte n'est pas le seul pays cité. Pour la plupart des spécialistes du Soudan, la crise actuelle est une crise soudano-soudanaise même si, évidemment, elle est très suivie par les Etats de la région, notamment l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et l'Egypte.



Un convoi de voitures évacue Khartoum, au Soudan, le 23 avril 2023. (ABUBAKARR JALLOH / AFP)


L'Egypte est la plus impliquée, au niveau diplomatique ainsi qu'au niveau militaire en faveur du camp du général al-Burhane, estime le chercheur Roland Marchal.

"On a quand même des preuves parce que des soldats égyptiens ont été arrêtés à l'aéroport militaire de Méroé. Des avions égyptiens ont été partiellement détruits sur cette base. Il y a des témoignages qui accréditent le fait que l'aviation égyptienne, sans doute au moins un avion égyptien, aurait participé au bombardement d'une base des Forces de soutien rapide (FSR) près de l'aéroport de Port Soudan" , explique-t-il.


© Ansa/ Maxar Technologies


Et pour Marina Peter, la présidente du Forum Soudan et Soudan du Sud, c'est l'Egypte qui jouerait un rôle important dans la situation actuelle au Soudan.

"L'Egypte aimerait bien avoir un système comme le sien au Soudan, et c'est pourquoi elle a toujours soutenu le général Burhane. De son côté, Hemedti entretient d'excellentes relations avec l'Erythrée, entretient de bonnes relations avec l'Ethiopie et le Yémen bien sûr. Il entretient aussi d'excellentes relations avec la Russie, la Libye et le Tchad" précise Marina Peter.


En ce qui concerne la Russie, le chercheur Roland Marchal estime qu'elle maintient pour l'instant une attitude neutre dans le conflit. Selon lui, même si la Russie et les autres Etats de la région, comme l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, ont leur préférence, ils ne souhaitent pas l'afficher et n'interviennent pas militairement aux côtés de l'un ou de l'autre camp.

"C'est vrai que les Emirats ont sans doute eu des relations beaucoup plus étroites avec Hemedti qu'avec Burhane. Les Saoudiens étaient un peu en retrait, en ayant des relations avec tout le monde. Mais si vous voulez, fondamentalement ce qui compte pour eux, c'est l'influence. C'est la différence entre les Emirats arabes unis et l'Egypte. Mais le problème des Emirats ce n'est pas d'avoir Hemedti au pouvoir, c'est d'être influents au Soudan. Ils préfèrent Hemedti parce qu'ils le connaissent et qu'ils n'aiment pas du tout les islamistes qui, aujourd'hui, sont plutôt avec Burhane. Mais ils ne vont pas jusqu'à l'appuyer militairement. Et pour l'Egypte, ce n'est pas seulement une influence. C'est aussi un modèle politique de transition. C'est-à-dire que les Egyptiens ne veulent pas simplement avoir Burhane. Ils veulent avoir l'armée au pouvoir et ils veulent empêcher à la fois un gouvernement civil et un gouvernement démocratique d'arriver au pouvoir" explique Roland Marchal. Ce qui est diffèrent des Emirats qui posent beaucoup des conditions, selon Roland Marchal.


©Getty


Le rival du général al-Burhane, "Hemedti" a, quant à lui, renforcé ses capacités grâce au déploiement de ses hommes au Yémen pour combattre aux côtés des Emiratis, et en Libye pour soutenir le général Haftar.

"Oui, il y a la Libye, il y a surtout le Yémen puisque la participation des Forces de soutien rapide a été massive au Yémen. On parlait d'au moins 6.000 hommes. Je pense que ça a été souvent plus du double, mais l'armée aussi intervenait. Et effectivement, dans cette période-là, ils ont eu à la fois beaucoup d'argent pour payer les troupes qui servaient quand même un peu de chair à canon, et puis aussi beaucoup d'équipements et qui leur ont donné une capacité de frappe qu'on voit hélas aujourd'hui se déployer contre les civils", a précisé Roland Marchal.


Le Tchad qui entretient aussi de bonnes relations avec les deux hommes a fermé sa frontière avec le Soudan, longue de plus de mille kilomètres en plein désert, et jouxtant la région du Darfour, dans l'ouest du pays.




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